Interview Dominique Nato

La boucle est bouclée pour Dominique Nato, l’ex boxeur amateur et professionnel, entraineur national puis DTN est devenu président de la Fédération Française de Boxe. Même si la période actuelle  n’est pas des plus favorables pour prendre en mains une fédération sportive, le nouveau président est d’ores et déjà à pied d’oeuvre sur tous les chantiers de la boxe anglaise tricolore. Dominique Nato s’est prêté au jeu des questions pour BoxeNet.fr

BoxeNet: Même s’il n’y avait pas de suspense, quel a été votre ressenti quand vous êtes devenu président de la FFB ?

Ce fut une énorme satisfaction pour moi qui suis un passionné de boxe et qui a travaillé au sein de cette fédération pendant pratiquement vingt-cinq ans. C’est une notion de plaisir, de responsabilité et d’engagement aussi, parce que je pense que l’on n’est pas élu pour être élu mais  par rapport à un projet, une réforme que nous voulons mettre en place et puis aussi par rapport à une équipe, ce n’est pas un homme seul qui est élu mais une équipe avec un ensemble de personnes. Enfin au-delà de faire cavalier seul dans cette élection, c’est une grande satisfaction que 95% des gens nous ont élus. 95% qui sont des grands électeurs et qui sont sur les territoires, il y a une part de crédit qui nous a été accordé et qu’il ne faudra pas trahir, c’est pour cela que je parle de responsabilité que l’on a ensemble, que j’assume  en tant que président et que l’équipe assume pleinement.

BN: Quelle sera la méthode Dominique Nato ?

Il faut innover. Innovation et rigueur sont des  mots qui reviendront souvent dans mon discours avec professionnalisation et travail. Ces quatre mots seront les piliers de notre projet. C’est un projet pas trop long,  qui se veut dynamique et surtout réalisable, j’ai lu des projets fédéraux de 50 pages, celui-là il est réaliste et  à la portée de tous. Tout est fondé sur la clarté et la transparence, ayant été élevé au sein du service public dans lequel j’ai effectué toute ma carrière administrative, d’abord dans la police puis au Ministère Jeunesse et Sports, ce sont des notions me sont chères. C’est sur le plan de la légitimité qui est la nôtre et celle d’un président de Fédération qui est élu par ses pairs, par les clubs et ses licenciés même c’est fait de manière indirecte, il doit y répondre vis-à-vis d’eux de toute action et projet, donc la transparence. Le travail : Je pense que l’équipe que nous avons mis  en place travaille sur des sujets précis, chacun dans son domaine, chacun a le même niveau d’information afin  que nous puissions tenir informés nos licenciés. L’avantage que j’ai eu ces dernières années c’est d’être en région, d’être impliqué au sein d’un club, d’un comité régional. Cela me permet d’avoir une vision du bas vers le haut et pas seulement du haut vers le bas ce qui permet de  mieux comprendre les attentes  des usagers, des licenciés, des clubs permettant ainsi d’ orienter les actions  dans le sens de leurs intérêts. Il ne faut jamais perdre de vue que les clubs  sont la cellule mère de notre discipline, car ce sont eux qui font vivre la fédération.

BN: Vous parlez d’innovation, le numérique fait-il partie de vos projets ?

C’est inimaginable pour moi qu’à moyen terme  l’on ne puisse pas prendre de licences en ligne. Quand je vais au basket ou au handball par exemple, les officiels sont à des tables où tout est informatisé et enregistré en direct.  On va bien sur Mars, on doit pouvoir consulter les résultats sur le site fédéral  sans attendre plusieurs jours. La digitalisation permet la réactivité, l’information en direct etc. On doit absolument  s’approprier ces outils-là.

BN: Comment fonctionne une fédération ? Quel est son budget et comment est-il établi ?

La fédération est une association type loi de 1901 qui fonctionne avec un conseil d’administration représenté par le comité directeur, avec un trésorier, une commission des finances et  tout un ensemble de contrôles de légalité. L’état nous attribue une convention d’objectifs avec une subvention qu’on peut évaluer à un million d’euros. Tout se fait sous contrôle de l’ANS, cela doit être très clair et transparent car c’est l’argent de l’état et un bilan est fait chaque année.  On a un agent de l’ANS  dédié à chaque fédération qui est là pour contrôler le fonctionnement et l’utilisation des budgets dédiés par l’état. Comme dans chaque fédé Il y a également le produit des licences qui équilibre le budget qui   doit à tout prix rester en équilibre. Tout cela pour vous dire que nous sommes dans une configuration où tout est très clair au niveau financier. Ma dernière mission de directeur du CREPS de Nancy m’a permis de tirer  certains  enseignements au niveau de la gestion des finances publiques, je continuerais à travailler de la même manière. On ne pourra jamais me reprocher quoi que ce soit à ce niveau-là.

 BN: La pandémie a tout chamboulé partout, pouvez-vous dire à quel point elle impacte la boxe ?

Cette pandémie à tout perturbé,   même s’il faut relativiser l’impact au niveau sportif car elle a tué des dizaines de milliers de personnes, elle va en mettre d’autres dans la rue, elle va appauvrir la France économiquement.   Au-delà des aspects économiques, le sport reste un équilibre pour nos jeunes. La fermeture des salles de sport et des clubs  pendant cette crise sanitaire a provoqué une perte de repères chez nos gamins, je parle  des 950 clubs qui sont affiliés à la FFB  mais je pourrais associer d’autres disciplines sportives, notamment dans  les sports de combat. On s’aperçoit de la qualité  du travail que nos éducateurs et nos entraineurs font sur le terrain et dans les clubs. Au-delà de les former à devenir des champions, ils  contribuent à faire de nos gamins des hommes et des femmes équilibrés et épanouis. La  perte de repères chez ces jeunes se traduit par certaines dérives  dans les quartiers, ou les bandes sévissent. Médiatiquement on en parle moins mais la situation est toujours sous tension.   Actuellement ce n’est pas réjouissant et il faut que l’on donne du sens à notre projet pour redonner espoir à nos sportifs et aussi à nos éducateurs qui sont vraiment en manque. Donc je pense qu’on a un rôle à jouer, nous avons tous envie de réouvrir les salles afin de pouvoir se retrouver tout simplement.

BN: Que répondez-vous aux mécontents qui s’expriment sur les réseaux sociaux ?

Je vais sur les réseaux sociaux depuis longtemps et j’assume, pour moi ce n’est pas une source inspirante car tout le monde dit ce qu’il a envie de dire, parfois tout et son contraire,  mais cela peut constituer des indicateurs intéressants. Il faut en user mais ne pas en abuser, c’est parfait pour communiquer.  Les contradicteurs, ce n’est pas ce qui manque, vous savez, avant même d’avoir débuté on en a déjà et c’est tout à fait normal dans une démocratie.

BN: Quels sont les sujets urgents ?

Nous sommes sur les bilans.  Fortement endommagé avec 50% de moins de licences par rapport à l’an dernier à la même époque. Heureusement que lors de  la mandature précédente le Président André Martin a fait attention aux dépenses, ce qui nous permet d’avoir quelques réserves qui nous permettent de survivre mais il ne faudrait pas cela perdure de trop…

BN: Travaillez-vous déjà sur Paris 2024 ?

Nous sommes une fédération olympique et  c’est dans l’ADN d’une fédération comme la nôtre d’être présente  lors des JO. Nous aurons deux échéances olympiques lors de la mandature, nous sommes gâtés mais il ne faudra pas louper ces rendez-vous. Il y a un changement de DTN avec le départ, qui était prévu et qui est en cours, de Patrick Wincke. Il  était en charge du projet olympique et il fait valoir ses droits à la retraite. Son adjoint Eric Dary assurera l’intérim pour Tokyo et il y aura la nomination du nouveau DTN qui interviendra normalement le 1er aout dans la perspective des  jeux 2024. Car autant il faudra gagner des médailles à Tokyo, autant il faudra briller  à Paris, c’est important, cet aspect doit rester ancré dans les objectifs et  la  mémoire de chacun. Parallèlement, il faut développer les autres secteurs de l’activité. On nous reproche souvent de mettre tous nos moyens au service des internationaux et des équipes de France, pour préciser et être clair, cette partie-là qui est dédiée aux équipes de France est en grande partie prise en charge par l’ANS. En aucun cas ce ne sont les licences des clubs qui financent le projet olympique. On doit garder à l’esprit qu’il va y avoir les jeux olympiques à Paris et que les JO à Paris c’est tous les cent ans, nous n’avons donc pas le droit de louper cette marche historique.

BN: Rio fut exceptionnel avec six médailles, combien peut-on espérer de qualifiés pour Tokyo et avez-vous un objectif de médailles à atteindre ?

En Europe c’est presqu’aussi dur de se qualifier que de faire des médailles. 30% des médailles olympiques reviennent traditionnellement au continent Européen, c’est dire si le niveau est relevé. Le dernier Tournoi de qualification se déroulera en France et nous avons déjà deux garçons de qualifiés. Il en reste quatre en course et quatre chez les filles. Mais bien sur j’ai dit à l’équipe technique   en place que les objectifs prioritaires qu’ils doivent avoir à l’esprit c’est d’être absolument au top lors de ce tournoi de qualification.

BN: La boxe amateur française fait partie de l’élite mondiale et en pros ça coince, quel est votre avis là-dessus ?

La boxe amateur est structurée par un projet qui est financé par l’état, avec des cadres que l’état met à disposition de la fédération. Nous disposons de 23 CTS qui s’impliquent exclusivement sur le haut niveau amateur et sur le développement de la boxe sur les territoires, tout ce qui entoure l’offre fédérale en matière de boxe, tout cela est cadré, il y a un DTN… Au jour d’aujourd’hui en boxe professionnelle, il n’y a pas de statut pour le boxeur, là forcément il y a un problème. On a délégué à des organisateurs privés l’employabilité des boxeurs, les employeurs des boxeurs sont les  clubs et les organisateurs privés. Je pense que le projet sportif professionnel doit être repensé, un peu à l’instar des anglais qui ont connu un développement extraordinaire après les JO de Londres avec l’équipe olympique et Joshua plus quelques autres médaillés mais avec aussi beaucoup de boxeurs dans cette aventure olympique qui même sans participer ont contribué à l’émergence de champions dans leur boxe professionnelle.

Avec Gaëtan Micaleff, son ex coach

BN: Quel regard portez-vous sur cette boxe professionnelle?

Je pense que la crédibilité sportive de la fédération en matière de boxe professionnelle doit être  revue. on construit des carrières avec des boxeurs de l’est  et on s’extasie devant un boxeur qui a sept combats et sept victoires, on peut en avoir 50 des victoires comme cela. Je préfèrerais que nous ayons un système sportif qui s’appuie sur des vrais combats , qui s’appuie sur des compétitions entre jeunes, qu’ils gagnent ou qu’ils perdent et en finir avec le culte de la victoire exclusive. Jean Claude Bouttier ou René Jacquot avaient des défaites avant de faire le championnat du monde. Je pense que c’est la structuration sportive qui fait défaut, l’aspect commercial prime sur l’aspect sportif. On ne veut pas de défaites, les boxeurs français s’évitent entre eux. On ne va pas dévaloriser le championnat de France car il y a des gens de valeur mais dès qu’il y en a un qui doit rencontrer un autre français de valeur, il laisse le titre pour faire une ceinture plus ou moins crédible mais bon nous ne pouvons pas tout changer du jour au lendemain.  C’est une culture qui a été acquise depuis des décennies, nous aurons du mal à inverser cette vision. Je pense également  qu’Il faut impérativement  que les flux financiers soient identifiables.

BN:  Pouvez-vous développer votre dernière phrase ?

Je ne veux plus que l’on paye les boxeurs en espèces dans l’arrière salle d’un café, c’est interdit. Je veux que le boxeur pro soit reconnu comme tel, avec un statut d’autoentrepreneur par exemple.  Il faut aider les boxeurs à construire leur entreprise, certains laissent entendre  que les boxeurs ne le souhaitent pas, mais je n’y crois pas un seul instant car cela clarifierait nettement le modèle  mis en place. Le boxeur se produit, il facture à l’organisateur  qui devient l’employeur,  paie ses impôts et ses frais sans risquer de se faire escroquer par des intermédiaires indélicats. Il faut garder en mémoire que le  club qui paie directement un boxeur professionnel est assujetti aux charges sociales et à l’URSAF. Il y a eu des clubs qui se sont fait sévèrement redresser..

BN: Êtes-vous pour ou  contre une ligue pro indépendante ?

Ceux qui exploitent le plus la boxe professionnelle souhaiteraient une ligue pro indépendante sauf que celle-ci devrait s’auto financer et ce n’est pas d’actualité. Une ligue pro nécessiterait  une autonomie financière avec deux emplois  à plein temps et deux salaires à assurer. Ensuite pour être un sport véritablement professionnel, il nous faudrait un calendrier, nous avons une pratique dite professionnelle mais le statut des boxeurs ne correspond pas à celui des vrais pros. Prenez le cyclisme, il y a un calendrier et les coureurs connaissent leurs échéances, aujourd’hui les boxeurs seraient plus apparentés à des intermittents du spectacle qu’à des sportifs professionnels.

Il n’y a pas la structuration nécessaire pour que la ligue pro soit indépendante. Le ministère ne donne qu’un seul agrément à une fédération en France, d’autres sports, comme le foot, ont une ligue autonome car l’argent de la télé va directement à la ligue qui redistribue aux clubs. Le modèle économique actuel de la boxe pro ne génère pas assez d’argent pour s’auto financer. C’est une ambition, à terme de rendre cette ligue autonome mais avant de laisser partir le bateau il faut boucher les trous et clarifier le plan de vol. A terme oui mais aujourd’hui c’est impossible.

BN: Il n’a pas de subvention de l’état pour la boxe professionnelle ?

Le ministère ne gère pas la boxe professionnelle, il finance exclusivement la pratique amateur et olympique. C’est pour cela que nous avons institué un système de taxes qui actuellement sont divisées par deux pour aider à la relance des organisations. Les taxes sur les organisations et les licences sont actuellement les ressources actuelles de la boxe professionnelles. Il n’y a pas 50% de boxeurs pros qui sont licenciés aujourd’hui à la vue de la faiblesse  de l’activité. Je veux d’ailleurs rendre hommage à ceux qui prennent des risques en organisant à huis-clos, avec des conditions sanitaires strictes pour faire vivre leurs boxeurs et notre pratique. Il y a des gens qui sont très impliqués, je suis convaincu que tout le monde s’impliquerait à partir du moment où on leur donnerait un projet sportif où tout serait prévu et réglementé. Je voudrais redéfinir un cadre pour la boxe pro et que tout le monde le respecte, de façon que l’on puisse tous avancer de la même manière, en amateurs et en pros.

Michel BEUVILLE photos Pierre GIROD

 

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